Le noyé de l’an 12
En consultant un jour le plus vieux registre d’état civil dont dispose Nozières, j’ai été attiré par des feuillets d’un format différent des autres. Ce n’était pas un acte habituel, mais le procès-verbal de la découverte d’un noyé.
La scène se passe le 13 pluviôse an 12 de la république française une et indivisible (c’est-à-dire le 3 février 1804).
La veille, « le citoyen maire » de La Celle Bruère a signalé qu’il « avoit été trouvé dans la rivière du Cher, et dans sa partie avoisinant le Bois de la Beaume un homme noyé (…) reconnu pour être le nommé Gilbert Demoulin cardeur de la commune de Nozières ». L’acte de décès précise que le décès a eu lieu le 12 pluviôse « à deux heures du soir », et que Gilbert Demoulin (ou Desmoulin) était né à Epineuil, qu’il était l’époux de Jeanne Geofrest.
Jean-Baptiste Thévenard, commissaire du gouvernement, accompagné de son greffier François Testé et des citoyens Aurry fils et Maugenest officiers de santé viennent à cheval constater les faits. Arrivés sur les lieux ils trouvent en effet le cadavre « gardé par Rémy Demoulin tailleur d’habit demeurant en la commune d’Orcenais », fils de la victime.
« Après avoir fait dévêtir ledit cadavre » et l’avoir examiné, les officiers de santé concluent « que les seules causes de sa mort étaient occasionnées seulement par la submersion »,
La description détaillée du malheureux vaut une photographie :
(c’était) « un homme de l’âge d’environ soixante ans, de la taille d’un mètre 624 mm, cheveux sourcils et barbe grise, front haut, yeux gris nez gros bouche grande, menton large, vêtu d’une veste de droguet bleu un gilet croisé de droguet blanc deux culottes l’une de droguet barré et l’autre de droguet gris, une mauvaise chemise, bas de laine, sabots, un mauvais mouchoir de soie au col, un chapeau rond, dans ses poches et gousset se sont trouvé trois sols, une tabatière de cuir bouilli un mauvais couteau à manche de bois, un mauvais mouchoir de poche. A côté du cadavre s’est trouvé six cardes à carder laine, une carnassière dans icelle une petite bouteille de terre remplie d’huile. » (les cardeurs utilisaient de l’huile sur leurs cardes pour qu’elles glissent mieux dans la laine)
Après ces constatations les deux officiers de santé « ont requis taxe que nous leur avons fait chacun de six francs ».
Le chemin de la Baume ne mène pas au Cher, mais au ruisseau de la Baume. Le cardeur venait-il laver ses cardes dans le ruisseau ? Etait-il tombé dedans et son corps emmené jusqu’au Cher ? En période de crue le ruisseau peut être violent.
Habitant Nozières, il lui aurait été plus simple de descendre à La Ferolle. C’est d’ailleurs peut-être là qu’il tomba dans le Cher…
Enfin, « vu la présence du citoyen Rémy Demoulin son fils lui avons fait la remise dudit cadavre ainsi que de tous les effets ci-devant décrits, à l’effet par lui de procurer audit cadavre la sépulture, ce dont il s’est chargé ».
Et le fils revint sans doute chercher le corps de son père avec une charrette…
B. Larguinat